Nice. Aérogare 2. L'air était doux. Le soleil presque chaud. Deux Italiennes en mini-short ouvraient la marche en direction des taxis. La nuit avait été courte. Trois bourbons et des crackers comme petit Dej'. J'avais appelé mon contact sur place. Daniel, dit « le Petit Prince ». Un mec à nous. Il m'avait donné rendez-vous au bar du Hi Beach, à deux pas du Negresco. Lunettes noires, incognito, il sirotait un martini blanc. Beau gosse, le Daniel. J'avalais une aspirine avec mon bourbon.

 

 

 

 

- Personne ne t'as suivi ?

 

Il me prenait pour un débutant ? Je savais à quoi m'en tenir en débarquant ici. Les mecs de la BSN étaient partout en ville. Mon taxi avait bien été dépassé par des types en scoot arborant maillot rouge et noir et sweet à la tête de mort, mais je n'avais pas été suivi. Daniel était nerveux, il regardait furtivement par dessus ses lunettes. Je me demandais si ce petit enfoiré ne jouais pas double jeu avec son compère Marco S., dit « le Rital ». Dix minutes plus tard j'avais trois numéros de téléphone privés griffonnés sur un coin d'addition : Renato, Claude et un mec répondant au pseudo de Mac.

 

Renato fut le plus facile à joindre. Il m'a donné rendez-vous dans un café, Place du Palais. Polo noir, jean noir, lunettes de soleil, la classe. Renato savait qu'il lui faudrait coopérer s'il voulait voir son transfert homologué par No-no l'Embrouille et la 3 F. Il se mit à table dans son style inimitable. Dur sur l'homme, mais régulier.

 

- Cette année, lé systémé, il pouvait pas louter… Lé systémé, il croit qu'à la finé, il va touillours gagné. Mais quand tu mets dé l'Argentin, à la finé, lé systémé, tu lé niqué !

 

Renato me regarda droit dans les yeux. Je compris alors ce que Zlatan avait dû ressentir. Je commandais encore un bourbon. J'essayais de reprendre le dessus.

 

- Impossible, c'est comme la banque et les casinos, le système gagne toujours !

 

- Ecouté… Tou crois qué tou es méchant et qué tou travaillé pour des méchants. Mais les Argentins, les Colombiens, ils sont plus méchants qué toi. Tourpin, quand Bosetti il sé fait sisaillé, il sifflé pas, mais quelques minouté après, Dario, lé pénalty, il va lé cherché avec lé dents. Dario, il té raté lé pénalty contre St Etienne, la journée d'après, il té planté la Panenka. Ospi, il est pas titoulairé, il finit la saison dans lé cagé quand mémé.

 

Imparable. Comme une reprise de la tête au second poteau. Renato se leva et me laissa hagard avec l'addition, planté au point de pénalty, les mains sur les hanches. Putains d'Argentins !

 

Ce soir là, allongé sur mon pieu à l'hôtel Ibis, devant le championnat celtique de fléchettes sur Eurosport, une main dans un paquet de ships, l'autre sur le téléphone, j'eus beaucoup de mal à joindre Claude. Claude connaît le système. Il a même été du bon côté du système. Quoi que… Ca c'était avant que Jean-Mi, dit « Quenelle Pourrie » ne lâche ses tueurs et ne l'oblige à se planquer sur la Riviera. Enfin, ça décroche. Je reconnais sa voix, posée, calme. Les mots sont choisis, le discours fluide. Putain, ce mec est une machine à gérer ses émotions !

 

- Ecoute, je sais pour qui tu bosses. Ce milieu j'en ai fait le tour. Tous tes boss se croient très forts. Mais ils ont juste oublié un détail. Le facteur C.

 

-  Le quoi ?

 

- Le facteur C. Petit. C. Comme compétence. Ca, c'est la variable aberrante, ce que le système ne peut contrôler. Pas même Moustache. Chez nous, le président sait où il va. Les postes clés sont pour les gens compétents. Lorsque le développement du club est confié à un pro, que l'équipe 2 a un super entraîneur, que l'entraîneur de l'équipe première peut s'appuyer sur des gens qui connaissent par cœur la Boutique, que les recruteurs connaissent leur métier… Il peut rien t'arriver. C'est le facteur C.

 

Claude raccrocha. Je lâchais le téléphone, avalais un verre de bourbon et me mis en quête de la télécommande. Y'aurait pas des chaînes pour adulte dans ce putain d'hôtel ?

 

J'avais longtemps hésité... MAC. Comme un code. MAC… Il m'avait donné rendez-vous dans un bar du côté du boulevard de Riquier. Je n'en menais pas large. Crâne rasé, petites lunettes de soleil. look casual et soigné. J'avais compris. Daniel m'avait envoyé en pleine gueule du loup. Ce type puait la BSN à plein nez. J'aurais pu composer le code d'alerte « BSN » sur mon portable et les flics auraient débarqué en trois minutes et il aurait pris 10 ans de tôle sans comprendre d'où ça venait. Mais un je ne sais quoi de curiosité me poussait à écouter ce que ce mec avait à me dire. Je m'attendais à un voyou, un psychopathe, comme tous les ultras. Que dalle. J'en étais pour mon argent. Je commandais un bourbon.

 

- Tu diras bien à tes patrons qu'aucun système n'est parfait. Tu crois avoir tout verrouillé ? Ben non, t'as rien verrouillé. Tu crois avoir dissous un club de supporters, t'as rien dissous, parce qu'on est pas un club de supporters. On est l'âme d'un club, l'âme d'une ville. Y'a 500 ans, les Turcs et les Français sont venus jusqu'ici. Ils sont aussi repartis la queue entre les jambes.

 

- Pourtant on vous a interdit de déplacement.

 

- Ouais. Terrible ! Là où vous ne nous attendiez pas, on était 1000 à Annecy. Vous nous interdisez Furiani, on est 200 à l'aéroport. Vous nous interdisez l'aéroport, on est 2000 à Charles Ehrmann. On en prend quatre à St Etienne, on entend que nous en fin de match. Tu vois, tes interdictions elles servent à rien, parce que nous sommes Nice, comme un fleuve en crue, une marée, un tsunami. Tu peux mettre des digues on passera toujours par dessus. Le Berger n'a pas de billet, il grimpe à l'arbre, il neige, il chausse les skis. Tu es à Nissa ici.

 

Ce soir là, de retour à l'hôtel, je composais le numéro de Daniel.

 

- Daniel, dis au Gros et à l'Elégant qu'ils n'auront pas ce putain de rapport, même s'ils m'envoient me chercher en jet privé.

 

- Tu déconnes ?

 

- Nan, je démissionne.

 

Un blanc

 

- On ne peut rien contre le facteur C. On ne peut rien contre un tsunami. Et tu ferais bien d'en parler déjà au « N° 10 », à Zurich, parce que quoi qu'ils fassent… Les Niçois sont là !

 

Daniel, au bout du fil, se marrait.