Des capitaines de la Ligue 1 confient à FF leur vision de ce rôle si particulier. Quatrième invité après Vitorino Hilton (Montpellier), Anthony Briançon (Nîmes) et Stefan Mitrovic (Strasbourg) : le défenseur central de Nice, Dante.

 

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Aviez-vous déjà été capitaine avant que Lucien Favre vous confie le brassard en début de saison dernière ?

 

De façon fixe, jamais, mais j’ai toujours été comme un capitaine sans brassard. Et d’ailleurs, je préfère.

 

Pourquoi ?

 

Je pense être davantage respecté sans. Là, on peut toujours se dire que je dis ça, que je fais ça parce que j’ai le brassard. Je serais peut-être même encore plus investi car plus libre de le faire. Ça me permettrait d’avoir davantage de “conflits”, de prendre moins de gants. Je parlerais en tant qu’individu, pas comme un capitaine qui représente quelque chose de plus grand. Et peu importe ce que tu penses, je suis là pour t’aider. Avec le brassard, tu dois garder un peu de mesure, un peu de recul. Quand je suis arrivé, le capitaine, c’était Paul Baysse, ça ne m’empêchait pas de l’aider le plus possible. D’ailleurs, j’aurais refusé de lui prendre le brassard du bras. Paul est parti, donc maintenant, d’accord. Parce qu’en même temps, je m’amuse beaucoup à le porter dans ce club où il y a beaucoup de jeunes joueurs talentueux. C’est aussi un signe de confiance. Dans les clubs où j’ai joué, il y avait des gars très importants qui portaient le brassard, des joueurs qui avaient leur histoire avec le club.

 

Il faut de l’expérience pour tenir ce rôle, être un “papa’’ comme vous dites ? Ou Malang Sarr pourrait tout aussi bien l’être ?

 

Ça dépend des équipes. J’ai vu de jeunes capitaines prendre leurs responsabilités. Le problème, c’est qu’un capitaine doit donner l’exemple, et on n’acceptera pas certaines erreurs que peut commettre un jeune joueur. C’est donc une responsabilité supplémentaire. À mon avis, c’est inutile d’ajouter de la pression. C’est trop de s’occuper à la fois de soi-même, de sa progression, et de se préoccuper de l’équipe, des autres, de joueurs qui doutent, par exemple, et que tu dois aider à remonter la pente en trouvant les bons mots. Maintenant, il y a de jeunes joueurs qui ont progressé tellement vite, trop peut-être, qu’il faut bien leur trouver une responsabilité supplémentaire, leur montrer combien ils sont importants, et le brassard peut éventuellement en être une 

 

À condition d’être exemplaire. Ce doit être la première qualité d’un capitaine ?

 

Pour moi, la qualité première, c’est d’avoir l’esprit collectif. Un capitaine doit estimer ce dont l’équipe a besoin. S’il doit gueuler ou au contraire se taire. S’il ressent que l’équipe a besoin de positif, alors il doit l’être même s’il voit bien que des choses ne vont pas. Il doit être patient, sentir les choses. Un capitaine ne se regarde pas, il observe autour de lui, pense collectif en priorité.

 

Le fait que Nice soit une équipe jeune modifie-t-il votre façon de faire ?

 

Un peu, forcément. Il y a quelques joueurs d’expérience comme (Christophe) Jallet, (Walter) Benitez, mais on n’est pas majoritaires. Il faut trouver les bons mots au bon moment. Tu sais que tu as moins de relais. Si je dis quelque chose à un jeune joueur pour qu’il fasse suivre à ses coéquipiers, pas certain que ça passe bien car ils sont de la même génération. Ma chance, c’est que malgré leur jeunesse, ce sont des joueurs intelligents, humbles et très réceptifs. Beaucoup savent où ils veulent aller, (Wylan) Cyprien, Malang (Sarr) qui a joué pas mal de matches de L1, Christophe Hérelle, même (Allan) Saint-Maximin qui a déjà connu quelques clubs...

 

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C’est important de ne pas être trop en décalage malgré la différence d’âge ?

 

Je dis toujours que pour battre un ennemi, il faut le connaître. Et pour aider quelqu’un aussi. Il faut le comprendre, savoir écouter avant de lui parler. C’est essentiel.

 

L’année sans brassard vous a donc été utile pour “faire connaissance’’ avec vos coéquipiers et le football français ?

 

C’était bien d’avoir ce temps. Je me suis mis dans le rôle du joueur expérimenté qui peut donner des conseils. Parfois j’ai parlé, parlé, beaucoup. Trop sans doute. Pas de façon individuelle, mais avec le groupe. Je venais d’un autre “niveau’’, je mets des guillemets. J’avais naturellement besoin de transmettre ce que j’avais connu. Ça me faisait du bien, ça faisait du bien à d’autres, moins à certains.

 

Ceux-là pensaient : “Il nous saoûle avec sa Bundesliga, avec son Bayern” ?

 

Non, non. J’ai toujours veillé à ne pas en faire trop. Je parlais par rapport à des choses que je voyais, que je sentais, à des moments précis, je ne passe pas mon temps à parler de mon expérience. C’est toujours sur un point précis : “Si tu fais comme ça, peut-être que ce sera mieux.’’ Et il y a un ton à trouver. Pour moi, tous ces petits détails sont importants, car j’ai pu m’apercevoir, en jouant à un certain niveau, que si tu rates ça, tu es éliminé. Tu as travaillé dur durant des mois et tu te retrouves dehors en quelques minutes. Ça va vite. Mais peu à peu, je prends la mesure qu’on est dans une autre époque. Les jeunes savent qu’ils ont beaucoup de talent, et ils réfléchissent un peu moins à leur temps de progression. Moi, je morcelais ma progression, je la fixais semaine après semaine, match après match, et de cette façon je vivais et je vis toujours pleinement le foot. Aujourd’hui, je pense qu’un jeune joueur le vit un peu moins intensément, c’est comme ça. Et en même temps, ils ont ce relâchement qui leur permet de montrer leurs qualités. Avant, tu avais une chance : si tu te loupais, tu repartais en équipe réserve, et pendant deux ou trois mois tu bataillais pour revenir, c’était tendu. Aujourd’hui, il y a une deuxième, une troisième, voire une quatrième chance. D’où le relâchement et des qualités qu’on ne pouvait pas montrer si jeune.

 

Le capitaine se fait chambrer ?

 

Pas souvent. Ils n’osent pas trop. Mais j’aime ça et je ne me gêne pas, j’aime les blagues. Peut-être que sans le brassard ils se le permettraient davantage.

 

Adoptez-vous un comportement différent avec un effectif si jeune ?

 

Mon comportement ne change pas. C’est ma façon d’incarner le rôle du capitaine qui change, pas mon comportement. Il y a des joueurs à qui il vaut mieux parler calmement et seul, d’autres qui ne t’écoutent pas en tête-à-tête mais sont attentifs quand ils sont avec le groupe, car il y a le regard du collectif. On ne connaît jamais quelqu’un parfaitement, mais je crois que je sais un peu mieux comment chacun fonctionne. Être capitaine, c’est observer et sentir les réactions des uns et des autres à une remarque. Tout ce que je dis, c’est toujours dans un but collectif.

 

Mais votre rôle est forcément différent à Nice de celui d’un Thiago Silva à Paris...

 

Au Bayern et dans le vestiaire de ce type de grands clubs, il y a des personnalités différentes et affirmées. Tu joues dans une équipe où tu n’as pas le droit à l’erreur, donc tu ne peux pas t’occuper de tout le monde, tu es obligé d’être aussi très concentré sur toi-même. Tu peux te pencher sur les aspects collectifs, tu le dois même, mais tu ne peux pas forcément affronter toutes les questions individuelles, c’est un rôle compliqué. Au Bayern, il y avait une équipe titulaire et une équipe de “remplaçants’’ qui la valait presque. Il faut être attentif, serein. Tu as des joueurs à forte personnalité, déçus de ne pas être titulaires, mais le jour où tu auras besoin d’eux, ils seront là.

 

Vous évoquiez l’exemplarité du capitaine. C’est une nécessité ?

 

Forcément, sinon on se contredit. Il faut être en accord avec ce qu’on fait. “Fais ce que je dis, pas ce que je fais’’, ça ne marche pas. Les parents peuvent dire à leurs enfants que ce n’est pas bien de boire ou de fumer, même si eux le font parce qu’ils sont grands. Mais dans une équipe, c’est l’égalité qui prévaut. Le brassard ne me donne pas un avantage sur les autres. Demander l’effort de penser collectif quand tu ne penses qu’à toi, ça ne le fait pas. Maintenant, ce qu’ils font hors du terrain, ça ne me regarde pas, de la même manière que je ne veux pas qu’ils s’occupent de ce que je fais. Chacun sa vie. Et de toute façon, je leur dis : “Regarde mon corps, regarde mon âge. J’ai trente-cinq ans, je joue tous les matches, je me blesse rarement.” Si je suis toujours là, ils savent pourquoi. Pas besoin de leur dire : “Faites attention à ce que vous mangez, etc.” Et moi, sur un plan personnel, ça me motive encore plus, ça me donne encore plus de responsabilité vis-à-vis de mon travail. C’est à double sens. Même si je reconnais que parfois ça me coûte en énergie. C’est dur.

 

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Et vous, il vous arrive d’être dur ?

 

Pas spécialement. Il ne faut pas être dur, il faut être juste. Le plus important c’est ça, être juste. Tu parles calmement une première fois, une deuxième, une troisième, et la fois d’après, peut-être vas-tu te dire qu’il faut changer de ton car le message ne passe pas. Le but, c’est de parvenir à toucher l’autre. Quand je suis dur, c’est que j’estime que l’esprit collectif n’est pas respecté. Dans un entraînement, par exemple, je veux que tout le monde se mobilise, que l’on hausse le niveau d’agressivité, le niveau des passes, le niveau de concentration, de placement, tout. Si tu passes la pommade, tu ne touches pas le point sensible.

 

Vous avez parfois dû intervenir auprès de Mario Balotelli, par exemple ?

 

Bien sûr. Sur le terrain, dans le vestiaire. Constamment je lui parlais. “Gioca felice.’’ “Joue heureux, joue avec le sourire.” C’est beaucoup mieux que bouder, bouder, bouder ! Tu as tout pour toi, alors profite, joue heureux, montre ta joie, transmets-la avec ton corps à tous ceux qui sont autour de toi. Et pour toi aussi ! Même chose avec les arbitres. Combien de fois je suis allé m’excuser auprès d’eux à cause de son comportement ! C’est aussi mon rôle. Il faut sentir vite ce qui peut arriver, pour l’équipe. Il y a une fois où ça n’a pas marché, à Lorient (NDLR : le 18 février 2017), il a pris un rouge. Je le sentais venir, mais l’arbitre (Tony Chapron) en a eu vite marre. En même temps, je comprends, l’arbitre est humain, il peut être touché par des propos. Il lui parlait en anglais, en italien, et je crois que l’arbitre avait quelques notions en langues étrangères... Je n’ai jamais aimé parler avec les arbitres. Je ne dis pas que je ne les aime pas, simplement que je m’interdisais de leur parler. Ils font des erreurs, on peut être fâché, mais à quoi ça sert de mal leur parler ? Les arbitres préfèrent que le capitaine aille vers eux, avoir un interlocuteur, donc j’y vais. Mais d’une manière générale, je ne suis pas quelqu’un qui casse les couilles aux arbitres.


Le capitaine est-il forcément un leader de vestiaire ?

 

À la base, oui. Sinon c’est le bordel. Il faut de l’autorité dans un vestiaire, quelqu’un qui éteint le feu en prenant la parole. Il existe une hiérarchie.

 

C’est arrivé à Nice ?

 

Non. Les joueurs sont responsables, très liés les uns aux autres, donc non. Mais quand, l’année dernière, on a connu un mauvais passage, avec beaucoup de défaites d’affilée, il a fallu parler entre nous. On a fait quelques réunions, peu, mais il fallait rester sur le bon chemin.

 

Être capitaine vous offre-t-il une relation particulière avec le coach ?

 

Pas plus que ça. On se connaissait avec Lucien (Favre) depuis M’gladbach. On avait déjà ce type de relation, on parlait de ce qu’on pouvait améliorer, et je n’étais pas capitaine. Ça n’a rien changé. Ce qui change éventuellement, c’est qu’un coach a parfois besoin d’avoir le feeling du groupe quand il doit prendre une décision qui implique le collectif. Mais si le coach me donne le brassard, à moi aussi de prendre mes responsabilités pour transmettre ses consignes, pas besoin qu’il me le demande.

 

Et avec Patrick Vieira, qui est à peine plus âgé que vous ?

 

Un jeune entraîneur est en général très ouvert, il apprend des autres. Or Patrick Vieira est un jeune entraîneur. Il montre son humilité, il est à l’écoute, met tout le monde au même niveau, le capitaine comme le jeune joueur. C’est sa force. Il grandit dans ce métier, et je fais le maximum pour l’aider.

 

Vos coéquipiers vous ont-ils fait part de leurs questions, voire de leurs inquiétudes cet hiver, au moment du départ du duo Rivère-Fournier ?

 

Quelques joueurs sont venus me demander si j’en savais plus. Mais je leur ai dit tout de suite que je n’en savais pas plus qu’eux.

 

Vous aviez une bonne relation avec Julien Fournier (ex-directeur général de l’OGCN) notamment, qui nous a dit un jour que vous feriez un très bon dirigeant de club. Seriez-vous prêt à franchir ce pas à la fin de votre carrière de joueur ?

 

J’aime toujours trop le football, j’aime encore trop sentir l’odeur de l’herbe pour penser à l’après, mais oui, c’est quelque chose qui m’intéresse. Ça ne me dérangerait pas d’étudier, de passer les diplômes utiles pour être entraîneur, dirigeant. Je veux rester dans le foot mais en travaillant pour un club, pas comme agent de joueurs. Ce qui m’excite, c’est de construire quelque chose. Et quand tu es capitaine, que tu as des responsabilités, l’attachement au club devient plus fort. Ce lien se renforce sans même que tu t’en aperçoives. On verra. Ce que je peux dire, c’est que travailler ici serait une vraie fierté car j’éprouve un très grand respect pour l’OGC Nice, pour ses supporters, et pour ceux qui y travaillent au quotidien.

 

 

 

Pour lui, la crème de la crème des capitaines, c’est...

 

« Carles Puyol ! J’ai eu plusieurs capitaines dans ma carrière, mais celui que j’aurais aimé avoir, qui incarne le plus ce que je considère comme le capitaine idéal, c’est lui. Il savait tout gérer. Quand le Barça gagnait tout, il savait quoi dire pour que tout le monde garde les pieds sur terre, garde sa concentration. Je le vois encore s’adresser à Piqué, qui était pris à partie par les supporters du Real : “Taistoi et joue !” Et quel exemple sur le terrain ! Quelle force ! »