Le Niçois a réussi à trouver sa place malgré son statut de gardien réserviste. Cela n’a pas été immédiat, mais sa personnalité enjouée l’y a aidé.


Quand des rires se sont approchés de la salle de presse, on a compris que Yoan Cardinale était dans le coin. Invité à parler de son statut à Nice, où il est passé en trois ans de numéro 1 à numéro 3 dans la hiérarchie des gardiens, le gardien (26 ans) a d’abord craint que cela « donne un article de dépressif ». Son sourire est pourtant vite revenu, pour décrire le quotidien d’un footballeur qui ne joue pas – même s’il a disputé une mi-temps, samedi, en amical face à Lyon (0-1) – et raconter son utilité au sein du groupe, loin d’être marginale.

 

« Comment avez-vous pris votre rétrogradation dans la hiérarchie des gardiens ?

 

C’était avec Lucien Favre (entraîneur niçois de 2016 à 2018), quand il m’a mis numéro 2 après avoir joué une dizaine de matches, vers mi-novembre 2017. Au début, je me suis beaucoup renfermé sur moi-même. J’ai commencé à faire une dépression. Je restais chez moi. Je m’embrouillais tout le temps avec ma copine. Pour un rien. Je ne voulais voir personne, je ne voulais entendre personne. À l’entraînement, j’ai même voulu me battre avec Gautier Lloris (parti cet été à Auxerre en L2), alors que Gautier Lloris, c’est vraiment une crème : lors d’une opposition, il m’avait mis le ballon dans le nez. J’avais pété les plombs. Alors que ce n’était rien ! J’étais à fleur de peau. Ça a duré un bon mois et demi.

 

Comment êtes-vous sorti de cet état ?

 

En essayant de relativiser. En faisant autre chose. C’est con, mais j’allais marcher. Je ne voulais voir personne, donc ce n’était pas sur la promenade des Anglais. On partait dans l’arrière-pays. On prenait la voiture et on visitait un village, deux villages, la montagne… La marche n’a jamais été mon truc, mais ça me permettait d’évacuer. Je regardais moins les matches aussi, alors que je ne rate pas un match d’habitude : Ligue 1, Ligue 2, Angleterre, Italie, Espagne, Portugal, Écosse, tout. Là, je m’étais coupé de ça. Depuis, c’est reparti.

 

En aviez-vous parlé avec un psychologue du sport ?

 

Non ! Je ne peux pas. Le jour où je vais voir un psy, je me prendrai pour un fou. Peutêtre que ça me ferait du bien, mais je ne peux pas. On avait un préparateur mental, mais non, ce n’est pas mon truc. Ce qui m’a remis bien, c’est Noël. Couper du foot une semaine, voir tous les jours son père, sa mère, son frère, ça fait le plus grand bien. Et voilà. Je suis revenu avec la banane.

 

cardibalotelli

 

Vos coéquipiers avaient-ils remarqué le changement ?

 

Quand tu rigoles H 24 et que, du jour au lendemain, tu ne souris plus, ça se voit. Je ne vais pas dire que si je suis éteint, le vestiaire est éteint, mais dans une salle, quand il y a quatre néons et qu’il y en a un qui ne marche plus, tu le vois. Je suis obligé d’amuser la galerie, de faire des blagues, de taquiner. Tout le temps. C’est pour ça qu’avec Mario (Balotelli, au club de 2016 à janvier 2019) on s’entendait bien. Il était très proche de Dante, mais dès qu’il voulait rigoler, il venait voir Yoan ; moi, dès je voulais rigoler j’allais voir Mario ; et comme on avait souvent envie de rigoler… (il se marre)

 

Vous avez rejoué en faisant trois matches en début de saison 2018-2019, mais vous n’aviez pas été numéro 1 en préparation. Aviez-vous été surpris de jouer ces trois rencontres ?

 

Oui. Le coach Vieira arrivait et Walter (Benitez)avait fait une belle saison, donc c’est lui qui avait fait la prépa en tant que numéro 1. Il avait fait une bonne prépa mais il avait fait une ou deux erreurs. Mais c’est la préparation : comme ça le dit bien, c’est là pour te préparer… La veille de la première journée, Nice-Reims (le 11 août 2018), au moment de travailler les coups de pied arrêtés, Walter part se mettre avec l’équipe titulaire et le coach dit : “Laisse Cardi.” Dans les mises en place, tu ne vois pas forcément qui va jouer, parce qu’il y a parfois des changements, alors que les coups de pied arrêtés de veille de match, c’est ce qui te donne l’équipe. Le lendemain, je joue. J’ai su deux heures avant le coup d’envoi. On perd 1-0 contre Reims. À Caen, on fait 1-1. Puis Nice-Dijon : 0-0 à la mi-temps, 0-4 à la fin, pas un très bon souvenir. Walter entre la semaine d’après à Lyon (1-0), il fait un match plus que parfait, contre Rennes (2-1)il est très bon…

 

En janvier 2019, vous êtes devenu numéro 3 derrière Yannis Clementia. Son départ cet été (fin de contrat) n’a pas changé votre situation au club ?

 

Oui et non. S’il y avait eu Yannis, je n’aurais pas forcément joué samedi contre Lyon (0-1, la 2e période). Après, la position du club et la mienne n’ont pas changé. Tout est clair : le club veut un deuxième gardien assez jeune, il cherche un profil de doublure ; moi, je leur ai dit que mon objectif était d’avoir du temps de jeu. Si je trouve un projet assez excitant, le club ne me mettra pas de bâtons dans les roues.

 

La saison dernière, vous ne jouiez même pas avec la réserve…

 

Je n’y ai fait qu’un seul match, parce qu’il y avait une épidémie chez les gardiens du centre de formation. C’est d’un commun accord : ça arrangeait le club de faire jouer les jeunes et je me mettais à leur place. Ça m’aurait fait chier qu’un pro de 25 ans puisse prendre la place. J’aurais empêché leur développement.

 

Alors, comment faites-vous pour garder le niveau ?

 

On vient à l’entraînement tous les jours avec le sourire. J’ai connu des choses bien pires avec mon petit frère qui avait eu des problèmes plus jeune – il devait mourir et a finalement réussi à s’en sortir (àcause d’une malformation à l’estomac, les médecins le pensaient condamné) –donc j’essaie de relativiser. Bien sûr qu’il y a des matins où je préférerais rester dans mon lit. Mais quand je rentre dans la douche, je me dis : “Ça fait deux heures que mon père (menuisier) est sur le chantier à porter des planches et à découper des portes. Ça fait deux heures que ma mère garde trois enfants. Et moi, je suis en train de râler parce que je vais jouer au foot de 9 heures à midi ?” Je n’aime pas cette situation, je suis un compétiteur. J’essaie de venir avec la banane et de montrer au coach Vieira que s’il arrivait quelque chose, je serais prêt. Et puis, je ne peux pas ne pas m’amuser. Dès que je rentre dans le vestiaire, ma journée est lancée. Je lance une connerie au premier que je vois, et c’est parti.

 

Comment trouvez-vous votre utilité dans le groupe ?

 

En apportant ma bonne humeur et mon leadership. Même sans jouer, je me sens impliqué. Quand je croise quelqu’un dans la rue et qu’il me dit : “Vous avez été nuls”, je réponds : “Oui, c’est vrai, on a raté notre match.”

 

Mais vous n’êtes pas dans le vestiaire les soirs de match…

 

À l’entraînement, je montre du caractère, je donne des conseils, je prends la parole dans les réunions. Il y a beaucoup de jeunes. La saison dernière, on disait qu’on était une équipe timide. C’est à nous, qui avons un peu plus de vécu, de montrer la voie. Je gagne énormément de jeux réduits : pas parce que je suis bon, mais parce que ceux qui sont avec moi savent que je vais leur crier dessus s’ils dorment, donc ils sont à fond. Quand j’en vois qui tirent la gueule dans le vestiaire, j’essaie de les piquer. Quand je vois quelque chose le week-end, je n’hésite pas à aller voir la personne le lundi pour le lui dire. Avant le confinement, Dante a fait un match où il était un peu passif. Ça ne lui ressemblait pas. Je l’ai attrapé et je lui ai dit : “Qu’est-ce que tu avais hier, tu n’étais pas toi-même, je te connais.

– Pourquoi tu me dis ça ? ”

On fait l’entraînement, et il est pareil. Je le lui ai redit : “Tu es comme ce week-end, tu ne parles pas, tu es dans ton coin.”

 

Vous ne vous empêchez pas d’être franc avec vos partenaires…

 

C’est encore plus difficile pour moi de parler maintenant que je ne joue pas. L’autre peut se demander : mais qu’est-ce qu’il veut, lui ? Il était chez lui ce weekend et il va me faire la leçon ? Tu ne peux pas aborder Dante comme tu vas aborder un jeune. Dante, je sais qu’il va m’écouter. Si je vais voir un jeune et que je lui dis qu’il n’a pas été bon, il peut partir et dire : ferme ta gueule toi, va t’asseoir. Mais je n’hésite pas à prendre la parole et à dire ce que je pense. C’est dans ma nature. Et ça fait du bien parfois de se faire reprendre. Je me rappelle qu’un jour, quand je jouais – et pourtant tout se passait bien, on volait sur le Championnat –, “Mika” Seri était venu me voir pour me faire remarquer que je travaillais moins qu’avant : “ Le travail devant le but, tu ne l’as pas fait alors que tu le faisais tout le temps quand tu étais troisième gardien.” Il avait vu. Et si lui avait vu, c’est qu’un autre aussi l’avait vu, et le coach aussi. Il avait raison.

 

Votre rôle, c’est aussi de voir ces détails ?

 

Tu peux être utile là-dedans. Au printemps, on faisait un jeu, on a pris un but et un défenseur s’est super énervé, il criait beaucoup – je ne vais pas balancer son nom. Je vais le voir : “C’est bien, tu apportes beaucoup d’énergie, mais essaie de peser tes mots.” Il y en a qui le prennent mal : “Wouah, comment tu me parles ? ” Il y a quinze ou vingt ans, quand tu avais un (José)Cobos ou un Cyril Rool qui te disait : ferme ta gueule et marque. Tu te disais : il a raison . Aujourd’hui, si tu lances ça, l’autre peut te répondre : pour qui tu te prends ? Pourquoi tu me parles comme ça?

 

 

Votre rétrogradation vous a-t-elle fait mûrir ?

 

Beaucoup. Je suis plus calme. Avant j’étais super impulsif. Je prends sur moi, j’évite les prises de tête inutiles. Mais je me pose toujours plein de questions. Chez toi, tu t’en poses cinq cent mille.

 

Vous pourriez juste vous dire que Walter Benitez est meilleur que vous…

 

Ce serait la facilité. La réponse la plus facile, c’est : ce n’est pas ma faute. Mais tu te demandes ce que tu as mal fait, ce que tu peux mieux faire, ce que tu peux montrer, ce que tu vas pouvoir faire. Si tu lâches mentalement, tu meurs. Ça signifierait venir tous les matins sans l’envie, et ça se verrait dans tes performances. C’est super négatif pour toi, pour le groupe, pour le coach, et c’est là que tu as le plus de risques de blessures.

 

C’est compliqué de rester dans l’ombre de quelqu’un quand on a été à sa place ?

 

C’est très difficile. Après, si tu me demandes de faire encore dix ans dans ce club, je pense que je pourrais le faire. Mais que dans ce club. Ça fait onze ans que je suis là. Quand tu restes onze ans quelque part ou avec quelqu’un, c’est que tu es attachée, que tu es amoureux. Je suis un petit Aiglon moi. »