À première vue, il n’est pas l’entraineur le plus fun qui soit. Pourtant, en ligue 1, l’OGC Nice de Claude Puel est une oasis de fraîcheur dans un désert de beau jeu. Interview sanguine avec un homme qui s’est assagi sans perdre ses convictions.

 

Tout le monde s’accorde à dire que vous êtes devenu, contre toute attente, un entraîneur offensif. Ça vous inspire quoi?

 

Rien du tout… Il y a des étiquettes qui enferment des gens dans des cases. J’ai débuté avec Monaco, une équipe très jeune qui a été championne en 2000 avec le plus de buts marqués. À Lille, sans grands moyens, on finit deuxième derrière la grosse équipe de Lyon, puis troisième, avec là aussi, la deuxième attaque et la meilleure défense derrière l’OL.

 

D’où vient cette réputation d’entraîneur défensif?

 

Un peu de Lille, parce qu’on a joué le maintien avant d’avoir des résultats. À l’époque, il n’y avait pas grand monde pour analyser notre jeu. Or, on avait une bonne équipe avec des joueurs en devenir. Il y avait de la solidarité, c’est vrai, mais on avait des joueurs de ballon comme Bodmer, Makoun, Odemwingie, Keita… Mais personne ne nous voyait jouer. Pour les gens, on était une équipe dans la lignée de l’esprit Halilodzic, du genre “très compacte, très combative avec beaucoup de pressing”. Ça nous a collé à la peau.

 

Votre Losc, pourtant, allait de l’avant, même à l’extérieur…

 

On le faisait en L1 mais aussi en ligue des champions. On a éliminé Manchester United en phase de poules, on a bien joué contre Benfica ou Villarreal. On a même battu Milan chez lui… On n’a pas de bons résultats en coupe d’Europe sans jouer au ballon.

 

Il se dit qu’à Nice, vous essayez de copier ce que fait le Barça.

 

On ne cherche pas à les imiter. À Nice, on ne fait pas une fixette sur les petits gabarits. On recherche juste des joueurs techniques qui sentent le jeu. Après, plus on en aura de moyens et plus on prendra des joueurs techniques avec de la vitesse, de la puissance, du gabarit. Des internationaux. On a la volonté d’avoir des techniciens, avec une intelligence de jeu, et ce, à tous les postes. Si on veut mettre en place un certain type de jeu, il faut essayer d’avoir des profils sachant réciter la même partition. C’est souvent une erreur commise dans le foot: on aime bien le jeu du PSG, du Barça ou du Bayern mais pour le pratiquer il faut des joueurs avec un certain profil. Le problème, c’est que certains clubs forment des joueurs qui n’ont pas la capacité de le pratiquer… Dans notre championnat, il y a tout de même des équipes comme Lorient qui suivent un fil conducteur cohérent. Ils n’ont pas un style de jeu basé uniquement sur de la possession. Ils maîtrisent aussi les attaques rapides avec des joueurs techniques qui peuvent enchaîner. À Nice, on n’a pas de moyens, alors on s’efforce de rassembler des joueurs dont le profil correspond au jeu pratiqué par l’équipe.

 

Pourquoi ça fonctionne mieux cette saison que les précédentes?

 

Parce que les nouveaux profils recrutés correspondaient mieux à nos fameux critères techniques. Le Marchand, Seri, Koziello, Germain, Ricardo Pereira, Le Bihan, Wallyson (Mallmann, ndlr)… Leur truc, ce n’est pas le défi physique, la puissance ou les duels. Pour qu’ils puissent s’exprimer, il faut mettre autour d’eux d’autres joueurs qui récitent la même partition. Et faire en sorte qu’ils ne soient pas confrontés à la puissance, à la vitesse, et aux profils très physiques de la ligue 1…

 

Dans certains matchs, votre milieu continue pourtant à perdre des ballons et à subir l’impact du milieu adverse.

 

On a un jeu à risques. On a des lignes et des arrières écartés, on repart de derrière. C’est une prise de risque importante et les équipes pratiquent systématiquement un gros pressing sur nos milieux défensifs, pour essayer de nous contrer quand on est écartés, pendant qu’on propose des solutions. Ça a été le cas à Caen: on s’est fait chiper deux ballons d’entrée et ça a fait 0-2 très vite. Contre Monaco, on a aussi subi un gros pressing, mais on a fini par leur imposer une attaque-défense. Il y a des fois où on arrive à être efficace et à concrétiser notre domination et d’autres fois non. Chaque match est particulier. Contre Monaco, ça c’est joué au niveau de la fatigue. C’était notre troisième match en six jours alors qu’en face ils avaient eu un jour de récup’ en plus. À ce niveaulà, ça compte, parce que pour faire du jeu, il faut pas mal de fraîcheur physique et mentale. Or, pour matérialiser notre possession de jeu, il faut être juste, fin, lucide et propre techniquement parce qu’on vit des décalages. Et des fois, il nous manque un peu de jus. Il est toujours plus facile, entre guillemets, de bâtir un groupe défensif, d’attendre et puis d’essayer de contrer en prenant les espaces comme le font une majorité d’équipes de ligue 1. Eh bien, nous, on a pris le parti d’avoir le pied sur le ballon dans un championnat où 90 % des équipes s’expriment via des aspects physiques et restent…

 

…attentistes?

 

Je ne dirais pas ça mais en France, et je ne parle même pas de la L2, la ligue 1 sejoue essentiellement sur des contre-attaques, des attaques rapides, et des prises d’espaces. Toutes les équipes se battent presque pour ne pas avoir la possession. Ils laissent le ballon à l’adversaire pour mieux le contrer… Ce n’est pas ma philosophie de jeu et ça ne l’a jamais été, même si j’ai eu des équipes moins dominatrices que d’autres.



À Nice, on sent que vos joueurs ont adhéré à votre projet.



C’est le cas. Je le leur avais dit en préparation d’avant-saison: “On va jouer dans un système qui n’est pas évident, un 4-4-2 en losange, avec un certain style de jeu, avec nos profils.” Et c’est ce qu’on fait dans un championnat très, très difficile! S’il y avait beaucoup d’équipes, comme en Espagne, qui avaient la volonté de jouer, ce serait plus facile. Mais là, c’est dur, et c’est d’autant plus motivant. Je pense que les joueurs prennent du plaisir et en donnent également. On fait des matchs solides et intéressants. On s’accroche…



Comment avez-vous réussi à relancer aussi brillamment Ben Arfa?



Déjà, parler du cas d’Hatem, c’est ne pas oublier que même pendant son absence, on a continué à engranger des points, à maintenir une certaine qualité de jeu. Hatem est arrivé ici avec des choses difficiles à vivre puisqu’on ne lui pas permis de s’engager avec nous en janvier 2015. Malgré tout, il est revenu avec plein de fraîcheur et beaucoup de maturité, par rapport à tout ce qu’il a pu vivre dans sa carrière. J’ai eu affaire à un joueur revanchard, avec une bonne écoute, qui était prêt à avancer et à avoir une certaine réflexion sur son jeu. Donc, quand on s’est rencontrés, on a fait en sorte que ça devienne un ticket gagnant-gagnant. Gagnant pour lui, pour le remettre en selle et éventuellement retrouver l’équipe de France, mais aussi pour nous aussi, parce qu’on avait besoin de sa qualité.ogcnice.info



Votre grande réussite avec Ben Arfa, c’est de ne pas lui avoir déroulé le tapis rouge, contrairement à certains de vos confrères qui lui avaient filé les clefs du camion en le laissant faire son numéro…



Je ne voulais pas que ça se passe comme ça, car c’est toujours dangereux que l’équipe dépende d’un joueur comme lui. Le jour où il n’est pas performant, l’équipe n’existe plus! On a prouvé depuis le début de la saison qu’on avait un vrai collectif, un vrai projet de jeu qu’Hatem sublime par sa qualité. Dès le départ, je lui ai dit qu’il ne devait pas se contenter d’une ou deux fulgurances par match. Je voulais qu’il soit capable de jouer à une ou deux touches de balle, de se replacer correctement, de défendre… Ce qu’il n’avait pas compris ailleurs, il l’a assimilé chez nous. Il a beaucoup progressé dans le jeu sans ballon, dans ses déplacements, mais aussi dans son volume de jeu. Il est devenu plus complet et peut s’exprimer au très, très haut niveau. Vu qu’il a les capacités pour faire basculer un match à lui tout seul, on l’a longtemps confiné dans ses fulgurances. Résultat, dès qu’il passait à travers, on l’asseyait sur le banc, sans explications… Il se retrouvait aigri, parce qu’il ne comprenait pas. Le meilleur est à venir, car il est encore en apprentissage. Pendant longtemps, il était une caricature de ce qu’on avait voulu faire de lui: un petit génie capable de fulgurances, et de dribbler six ou sept joueurs. Mais être un petit génie, ça ne suffit pas. On le compare parfois à Messi pour ses dribbles, mais Messi ce n’est pas que des fulgurances: il marque, il passe, il est constant, il se fond dans le collectif… Hatem n’avait pas tout ça pour figurer dans des grands clubs. Il n’était que sur des fulgurances, et à un moment donné, ça ne suffit pas.



Un mot sur Kevin Anin (victime d’un accident de voiture en 2013, Anin est aujourd’hui paraplégique)?



Il est un peu comme Hatem: ils ne mentent pas, ils sont honnêtes. Ils ont juste des caractères qu’il faut savoir appréhender. Ce ne sont pas des tordus. Quand j’ai affaire à des hommes attachants comme eux, ça ne me pose pas de problème d’aider. En tant qu’éducateur, je suis là pour ça. Kevin est un écorché vif qui avait des absences, des problèmes à gérer hors football. Il a d’abord fallu faire comprendre au groupe qu’il était différent et qu’il avait besoin d’une attention particulière. Ensuite, il a fallu le réhabiliter par rapport aux médias et aux gens en général pour leur faire découvrir qui il était vraiment. Avant son accident, on était parvenu à faire découvrir quelqu’un d’attachant, qui avait quelques problèmes un peu existentiels et qu’il fallait aider… On est tous très tristes parce que c’est très dur ce qui lui est arrivé. C’était un joueur énorme. Il fallait régler ses petits problèmes existentiels pour le rendre plus régulier sur la durée, parce qu’il était cyclique, mais il avait un potentiel de folie.



Vous avez affirmé que gamin vous n’étiez pas du genre à collectionner les images Panini…


Mon père était très rugby, et on suivait en famille les résultats du Castres Olympique. Le foot, je ne le suivais pas passionnément mais, contrairement au rugby, j’adorais le pratiquer. Je jouais dans un petit village, Laguarrigue, et comme j’avais des gros moyens physiques, on me surnommait “trois poumons”. C’est plus tard que j’ai bossé la technique. Aujourd’hui, pour mon recrutement à l’OGC Nice, je fais le contraire: je ne me serais donc pas sélectionné…



Le contraste doit être saisissant lorsque vous débarquez à 16 ans, à Monaco, en provenance de Laguarrigue.



C’était un autre monde, mais je suis resté dans le mien. J’étais joueur de foot et je suivais une scolarité normale au lycée AlbertIer où j’ai poursuivi toutes mes études jusqu’au bac. Je sortais à 17 heures pour retrouver, à l’entraînement, les jeunes Bellone, Bijotat, Amoros, Ricort et Henri Stambouli. Stambouli, c’était le seul à faire des études avec moi au lycée. On n’avait qu’un demi-entraînement par jour, alors que les autres en avaient deux. Ça a duré deux ans comme ça et après l’obtention du bac littéraire, Henri et moi on s’est dit: “Si on ne réussit pas dans le foot, au moins on pourra reprendra les études plus tard.”



À l’époque, les anciens ne vous ont pas accueillis avec des fleurs.



Ça jouait dur. Ça vous a marqué? Ils ne faisaient pas de cadeaux, j’ai même eu le nez cassé… Mais bon, je n’étais pas impressionné, moi aussi j’étais dans l’engagement. Pour les pros, j’étais le petit jeune qui mettait des coups, qui leur rentrait dedans et qui était là pour leur piquer leur place. Pour faire carrière, il faut avoir du caractère, passer des étapes. Ceux qui n’en ont pas disparaissent.



À Monaco, vous étiez loin d’être un titulaire indiscutable.



En début de saison, les journalistes établissaient les équipes types des clubs, dont celle de l’ASM. Je n’y figurais jamais, mais à la fin, je faisais toujours partie des joueurs qui avaient disputé le plus de matchs. Je ne doutais jamais parce que j’étais dans la remise en question permanente. Pour moi l’entraînement, c’était viscéral: il fallait gagner le moindre petit jeu, toujours répondre présent. Ma vie était axée sur chaque entraînement, chaque match.



La fin des années 80 et le début des années 90 est marquée par la rivalité entre l’ASM et l’OM. Comme votre entraîneur d’alors, Arsène Wenger, vous avez été “affecté” par la domination sulfureuse de l’OM de Tapie?



Je l’ai très mal vécu parce que jamais je n’aurais pu penser qu’il puisse y avoir ça dans notre football. Disons que les choses ne se sont pas passées comme elles auraient dû se passer… On dit que ça nous a sans doute coûté un ou deux titres de champion. C’était encore plus dur de concevoir et de penser qu’il y avait peut-être des gars de chez nous qui avaient truqué des matchs. Ça c’est encore plus dur.



De la suspicion?



C’est tout. Je n’ai rien d’autre à dire. C’est plus que de la suspicion.



À l’époque, vous faisiez subir votre intransigeance et votre exigence à votre entourage. Vous regrettez?



C’est vrai que c’était peut-être un peu trop. Si j’étais resté avec ma mentalité de joueur, je n’aurais jamais pu être entraîneur. Un coach doit être à l’écoute des autres. Or, joueur, j’étais centré sur ma personne. Quand je rentrais chez moi, mon épouse savait tout de suite si j’avais perdu un petit jeu à l’entraînement. Dans ces cas-là, il ne fallait pas m’adresser la parole. En fait, il me tardait d’être au lendemain, pour disputer un autre petit jeu et le gagner.



Vous continuez toujours à participer aux exercices aujourd’hui. Ce n’est pas un peu too much de s’entraîner avec les joueurs?



J’ai mis en place des groupes de travail. Dès qu’il manque un ou deux joueurs, on a des gamins qui montent pour mettre en place des vases communicants avec les pros. Du coup, je ne participe plus trop. Ceci dit, ça a son intérêt de prendre part à ces mises en place. De l’intérieur, on ressent mieux le joueur: sent-il le jeu ou non? Est-ce qu’il comprend? Dans l’action, on perçoit mieux ces choses-là.



Le côté sanguin qui était le vôtre en tant que joueur et qui est aujourd’hui le vôtre en tant qu’entraîneur n’a-t-il pas nui à votre image?



Peut-être que je ne travaille pas assez mon image, mais l’important pour moi, c’est toujours le terrain, l’échange avec les joueurs, pour les faire progresser, qu’un maximum d’entre eux deviennent internationaux… Ma reconnaissance, je la prends comme ça, pas à travers les médias.



En parlant de reconnaissance, vous avez quasiment bâti le Losc champion de France en 2011. Vous n’avez pas de regrets de ne pas avoir récolté les fruits de votre travail?



Je suis arrivé en 2002 dans un club qui était une coquille vide: les meilleurs joueurs avaient été vendus, le coach était parti, pareil pour les dirigeants et le président. Avec Michel Seydoux, on n’avait aucun moyen financier. On a dû composer avec un petit budget de 19 millions d’euros… Tout était à construire. Pendant deux ans, on a joué le maintien. Mais comme pour Nice, j’avais la volonté de jouer, de faire monter des jeunes comme Hazard que j’ai fait débuter à 16 ans et demi… Développer la formation permettait d’accompagner la progression du club parce qu’en achetant des joueurs moyens, sans marge de progression, on aurait juste continué à jouer le maintien. Au final, on a fait 14e, 10e, puis 2e et 3e, on a joué deux fois la ligue des champions, deux fois la coupe UEFA et en 2008, faute de C1, le club a vendu quinze joueurs. Malgré cela, je suis resté pour rebâtir tout un groupe: Cabaye, Debuchy, Rami, Mavuba… Un cycle de bâtisseur qui a duré six ans. Le permis de construire du nouveau stade a même été acté lors de ma présence à Lille, après des années de vicissitudes… puis je suis parti à Lyon. L’entraîneur qui m’a succédé (Rudi Garcia) a hérité d’un centre d’entraînement magnifique et d’un groupe rebâti. Donc ma reconnaissance, je la prends sur des retours des joueurs que j’ai fait débuter et qui sont actuellement dans des grands clubs européens. Je ne suis pas très téléphone, mais j’ai gardé des contacts avec pas mal d’entre eux. Ils me donnent de leurs nouvelles. C’est toujours sympa..ogcnice.info



En parlant de grands clubs, pourquoi avez-vous refusé la proposition du FC Porto à l’été 2004?



Les dirigeants de Porto sont venus me voir alors que le championnat venait juste de reprendre. J’ai prévenu Michel Seydoux. Pour les Portugais, c’était déjà fait: je repartais avec eux le lendemain. J’ai demandé quelques heures de réflexion. C’était gratifiant parce que Porto devait disputer la supercoupe d’Europe, puis la coupe du monde des clubs. Mais d’un autre coté, c’était déstabilisant. Le championnat venait de reprendre et je me suis dit: “Je ne peux pas laisser tomber Lille comme ça, sans même dire au revoir.” Finalement, j’ai dit aux émissaires de Porto: “Peut-être une autre fois. Je ne peux pas quitter Lille dans ces conditions.” Ils n’en revenaient pas. Je ne sais pas si mes joueurs l’ont su, mais la saison qui a suivi a été extraordinaire: on finit seconds avec la deuxième meilleure attaque et défense du championnat derrière le grand OL… Avec notre petite équipe, c’était fabuleux. Je n’avais que dix joueurs qui connaissaient la L1. Alors pas de regrets pour Porto. Je suis resté moi-même, je ne suis pas parti pour être carriériste et laisser un club en plan. Ce n’était pas moi.



Vous avez passé vos diplômes d’entraîneur très, très tôt…



*Vers 21, 22 ans. Joueur, j’ai même entraîné les pupilles de Monaco et je m’étais pris au jeu. À l’époque, Wenger m’avait même demandé de mettre un bémol parce que je m’investissais beaucoup trop à son goût.



Du coup, vous étiez prêt quand on vous a proposé de succéder à Jean Tigana sur le banc de touche de Monaco?



Prêt, prêt, je ne sais pas, mais j’avais déjà des convictions. Au départ, mon but c’était d’être directeur du centre de formation. Pas de coacher l’équipe première. Je n’envisageais pas de faire une carrière d’entraîneur professionnel… Je voulais juste me consacrer à la formation. À l’époque, je ne me voyais pas partir de Monaco, aller dans un autre club, voyager. J’ai fait vingt-cinq ans là-bas, ça a été un déchirement de partir.



À la fin de votre première saison, les dirigeants de l’ASM souhaitent vous adjoindre Giovanni Trapattoni. Comment l’avez-vous pris?



Le prince Albert voulait que je signe un contrat pour que je reste à la tête de l’équipe. Mais ce n’était pas le dessein du président Campora qui voyait un nom plus ronflant pour entraîner Monaco, un grand club à l’époque. Je ne l’ai pas accepté. Même si j’étais un jeune entraîneur sans expérience, il m’était impossible de faire des concessions. En faire, c’est travestir son métier. Je suis peut être embêtant avec certains présidents mais personne ne rentre dans mon domaine d’activité. Il faut rester soi-même: c’est la personnalité qui fait l’entraîneur. Si on remet tout ça en question, on devient un pantin et c’est fini. Et c’est cette ligne directrice que j’ai suivie à Lyon, Lille, Monaco ou à Nice.




Après Monaco et Lille, vous signez à l’OL à l’été 2008. Votre arrivée coïncide avec la fin du grand cycle victorieux du club…



Quand je suis arrivé, personne ne parlait du championnat: que ce soit les joueurs, les dirigeants ou les supporters, tout le monde était focalisé sur la ligue des champions! Malheureusement, cette saisonlà, on est tombé sur le Barça de Guardiola. L’élimination a engendré une mini-dépression, parce que le club, qui avait été programmé pour performer en ligue des champions, n’avait plus que le championnat à jouer. Il y avait des joueurs comme Juninho, Cris ou d’autres qui étaient uniquement transcendés par la coupe d’Europe. Et à ce niveau-là, quand on est éliminé de la coupe d’Europe, il n’y a plus de goût à rien. Il y a un vide. C’est un sentiment très fort. Un gros coup de bambou: ce n’est plus de la décompression, c’est une dépression.



Votre troisième saison au club est marquée par la morosité.



Les internationaux français qui revenaient du mondial sud-africain étaient moralement très touchés (Lloris, Réveillère, Gourcuff, Toulalan)… Ça a été un mois d’août très difficile, raté, où on est vite tombé vers la 17e place. Les joueurs n’étaient pas revenus dans le truc. Certains étaient limite dépressifs… Ils n’étaient pas aptes à disputer le début de championnat. À l’époque, je n’ai rien dit, j’ai tout pris sur moi, je les ai protégés. J’en avais juste discuté avec le président (Aulas) qui m’avait dit qu’il allait leur parler pour les remotiver. Ce qu’il a fait. C’est alors que j’ai subi un véritable lynchage. Tous les problèmes sportifs m’ont été exclusivement imputés. La presse et les supporters me sont tombés dessus… Au moment du derby contre Saint-Étienne (0-1 à Gerland, en septembre 2010), il y a aussi ces fameux mots du président aux supporters: “Je ne vous demande pas de soutenir l’entraîneur, mais faites-le pour le club.” Pendant un mois, j’ai été jeté en pâture. Paradoxalement, cette année très difficile a été très intéressante à vivre. D’un point de vue professionnel, elle a été très constructive: on était mal classés, on avait la tête à l’envers, on se focalisait sur ma personne et je devais prendre sur moi, en protégeant le groupe et le club. À la fin de la saison, j’ai vécu comme une fierté de ne pas avoir lâché, d’avoir pu maintenir le groupe de façon compétitive, d’être restés pros jusqu’au bout en allant chercher la troisième place qualificative pour la ligue des champions. Mon parcours à Lyon, c’est troisième-deuxième-troisième, avec des gros matchs européens contre le Barça et le Real. Ce n’est pas une élimination en ligue des champions face à un club chypriote ou des victoires extraordinaires en finale de coupe de France contre Quevilly (allusion au bilan de Rémi Garde). Vous ne retrouverez pas un seul article ou une déclaration où j’ai mis à mal l’institution OL, quelqu’un du club, ou un joueur, jamais! J’ai tenu à protéger tout le monde, j’ai pris, j’ai pris et, moi, on ne m’a pas protégé, ça c’est sûr. o


À l’époque, vous recevez même des menaces. Notamment cette banderole: “Puel, laisse pas traîner ton fils.’’



Mais il n’y a pas que mon fils. Mon épouse a aussi été attaquée, des trucs malveillants ont circulé… Ça a été très dur pour ma famille. Moi, je suis dans l’action et même si c’est très difficile, je mets le bleu de chauffe et je zappe tout ce qui se dit et s’écrit pour atteindre les objectifs. C’est pour ça que quand on me parle d’échec à Lyon, je ne l’ai jamais vécu comme tel. D’autant plus qu’avec mon rôle élargi au sein du club, il y a beaucoup de choses qui ont évolué: au centre de formation, au niveau des structures, au centre d’entraînement… J’ai été impliqué sur le nouveau stade avec les architectes, on a fait tout un audit sur la formation. Et malgré l’obligation de résultats parfois très pesante, ça ne nous a pas empêchés de lancer des jeunes comme Gonalons, Lacazette, Umtiti, Grenier, Kolodjezak, Gassama ou Pied.



Vous avez bénéficié globalement du soutien d’Aulas pendant ces trois années?



On a bien fonctionné les deux premières années. À la troisième, on n’était plus dans la même relation.



À propos de votre procès avec l’OL*, pourquoi vous accrochez-vous à faire valoir vos droits?



Parce que j’ai fait preuve de professionnalisme, j’ai tout donné à ce club pendant trois ans. Ma famille en a pâti et moi je suis toujours resté droit dans mes bottes en me montrant le plus professionnel possible jusqu’au bout. Et puis, par rapport à mon investissement personnel et par rapport à ce que je suis, je ne peux pas accepter qu’on me trouve une faute grave parce que je n’ai pas répondu à un e-mail.



Une non-réponse à un e-mail? Ce n’était donc pas pour objectifs sportifs non atteints?



Tout à fait. Parce que les objectifs étaient d’arriver sur le podium à chaque fois, ce que j’ai fait. Je suis décidé à aller jusqu’au bout. C’est une question de principes. Voilà. •PAR CG *En juin 2011, il engage une procédure aux prud’hommes de Lyon pour rupture de CDD prématurée. Il réclame près de 5 millions d’euros pour préjudice moral et professionnel et contestation de son licenciement pour faute grave. Voyant sa demande rejetée, Puel s’est pourvu en cassation le 12 février 2015.