De retour au premier plan à la faveur des bouleversements qui ont agité son club, le président niçois assume un projet qu’il veut plus spectaculaire et ambitieux, grâce aux investissements d’Ineos.

NICE – Le premier match amical de la saison devait avoir lieu hier, avant d’être annulé à cause de l’état des pelouses du centre d’entraînement, mais l’OGC Nice a déjà lancé sa nouvelle ère, avec des visages connus: en retrait depuis le rachat du club par Ineos, en août2019, le président Jean-Pierre Rivère a repris une place centrale et a rappelé sur le banc Lucien Favre, qui l’avait fait vibrer de 2016 à 2018. À 64ans, il impulse à nouveau la stratégie du Gym et s’est confié hier dans les bureaux de sa société immobilière, sur la Promenade des Anglais.


Depuis 2019, vous laissiez Julien Fournier, le directeur du football, diriger le club au quotidien. Pourquoi est-ce différent aujourd’hui?

Il y avait un fonctionnement. Cela fait onze ans que je travaille avec Julien, c’est une amitié profonde qui n’empêche pas les divergences stratégiques. Les circonstances m’ont amené à expliquer ma stratégie aux actionnaires, des gens remarquables qui l’ont écoutée pour prendre un cap différent des trois dernières années.

Pourquoi n’avez-vous pas pu peser avant?

Car l’organisation ne me laissait pas la possibilité de m’exprimer comme je le souhaitais, et j’avais aussi voulu prendre du recul. Là, c’était le moment ou jamais de changer pour revenir à des choses fondamentales: le foot est un spectacle. La base, c’est de produire du beau jeu pour que les gens viennent au stade.

La finale de la Coupe de France perdue contre Nantes (0-1, le 7mai) a-t-elle tout fait basculer?

On est passés au travers. Je regrette qu’on ait eu la sensation de ne pas l’avoir jouée, et cela a provoqué une frustration générale, des actionnaires aux supporters. Dans ces cas-là, soit vous vous effondrez, soit vous y voyez comme moi une opportunité. Si on gagne la finale, ce qu’on fait aujourd’hui ne se passe pas. Je ne remets pas en cause l’approche du coach (Christophe Galtier),ila très bien préparé la finale mais ce non-match a laissé un goût amer au propriétaire. C’est un déclic.

L’intérêt du PSG pour Galtier a-t-il été une aubaine?
 
Je suis très heureux que Christophe ait l’opportunité d’entraîner le PSG et j’aurai toujours un œil bienveillant sur lui. Cet alignement des planètes, c’est bien pour tout le monde.

Le conflit entre lui et Fournier a-t-il cristallisé les dysfonctionnements du club?

Il y a eu ces tensions qui n’auraient pas dû s’exprimer dans la presse. Tous les évènements ont remis en cause un schéma. Ça peut sembler très confus mais on a analysé sereinement la situation et j’ai pu expliquer ma stratégie à Dave (Brailsford, directeur du sport chez Ineos).Déjà, le style de jeu. Nice doit se projeter avec un style offensif, du centre de formation à l’équipe première. Ce plaisir qu’on a pu avoir à une certaine période, on l’a perdu ces trois dernières années. Ineos Sports est au summum de la performance en cyclisme, voile, F1, marathon, rugby… Il y a des connexions dans cette galaxie et on vient d’y être intégrés. Cela doit donner au club la capacité de performer le plus possible avec une limite qu’il n’y a pas dans les autres sports: le fair-play financier.

Il est pourtant moins contraignant.

On peut discuter cette année avec l’UEFA de jusqu’où on peut aller mais ça ne concernera pas des sommes colossales. Il faut en profiter pour redonner un élan à Nice mais on a un gros travail à faire par rapport à Lyon ou Marseille, qui ont des recettes beaucoup plus élevées. On doit les augmenter le plus vite possible pour enclencher un cercle vertueux en Coupe d’Europe.

Cela signifie qu’Ineos va investir comme jamais à Nice?

Un peu plus que ce qu’on aurait pu imaginer par rapport au fair-play financier, juste un peu plus…

Dans votre tandem, Fournier incarnait l’austérité alors qu’on vous voit naturellement à la tête d’un projet plus flamboyant...

Je ne veux pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué mais on sait qu’il y a une chance pour les clubs européens. À partir de 2024-2025, on aura trois clubs en Ligue des champions, un quatrième en barrage, et l’arrivée de CVC (*) n’est pas neutre car ils souhaitent développer les répartitions financières vers les clubs européens, et ça va arriver à partir de 2024. Il faut être dans le match cette année et les suivantes pour bénéficier de ce ruissellement. Plusieurs clubs sont en avance sur nous, c’est difficile mais l’objectif est de prendre le bon wagon, avec la chance d’avoir un tel propriétaire. Peut-être qu’il achètera un club de Premier League mais il a le désir de soutenir le Gym sur la durée.

La volonté de Jim Ratcliffe, patron d’Ineos, d’acheter Chelsea, finalement vendu à Todd Boehly, vous a-t-elle inquiété?

Quand vous êtes Ineos, vous avez les moyens d’acheter un tel club. Acheter Chelsea, ça n’aurait rien changé pour Nice.
 
Cela peut poser problème pour les compétitions européennes...

Tout ça va s’assouplir et on a vu d’autres grands groupes se monter, avec tous leurs clubs qui participent aux Coupes d’Europe. Je ne crois pas que ce soit une difficulté.

Est-ce plus facile de demander à Ratcliffe d’investir davantage après qu’il a offert près de 5milliards d’euros pour Chelsea?
 
C’est différent, toujours à cause du fair-play financier. C’est une question de vision. On a un actionnaire qui ne vient pas dans le sport pour gagner de l’argent, mais il ne vient pas pour en perdre. Je souhaite que Nice permette à son propriétaire de vivre des émotions. Depuis trois ans, on en a eu bien sûr, mais globalement c’était un peu tristounet.

Lucien Favre était-il indissociable de votre plan?

J’ai toujours pris du plaisir à voir notre équipe jouer sous la direction de Lucien, et on a toujours gardé le contact. Sur le plan humain et du jeu, il remplit toutes les cases. Je n’ai pas de doute.
                                                                             
Il y a un décalage entre sa première saison niçoise(3e en 2016-2017) et sa deuxième (8e en 2017-2018). Cela ne vous a-t-il pas refroidi?

La première année a été exceptionnelle et on a affaibli l’équipe ensuite, alors qu’il faut donner à un entraîneur les moyens de progresser. Aujourd’hui, il n’est pas question de vendre nos meilleurs joueurs mais de se renforcer avec trois-quatre recrues.
 
C’est moins que ce que souhaitait Galtier...

Christophe avait un système et certains joueurs en difficulté peuvent s’adapter plus facilement à celui de Lucien. Avec Christophe, le mercato aurait eté plus important car il avait exprimé des souhaits. Mais c’est un gros chantier quand même, cette période est compliquée.

Qui va faire le mercato?

Quand je propose ma stratégie, je n’ai pas l’ambition de faire le mercato. Je vais y contribuer plus qu’avant mais Julien est à nos côtés et on est en train de structurer un petit groupe.

Il est compliqué d’imaginer Fournier convaincre des recrues alors que vous avez dit que son avenir ne s’inscrivait plus à Nice…

Le projet, c’est quoi? C’est un entraîneur, un actionnaire qui donne des perspectives. Vous ne venez pas jouer à Nice pour Rivère ou Fournier. Julien va bosser sans retenue, il n’y a rien de choquant d’avoir une mission jusqu’en septembre, alors qu’il a les compétences et une connaissance parfaite du club.

Les prérogatives de Favre s’étendent-elles au recrutement?

Non. Il est essentiel que le coach donne son avis sur le recrutement, mais il a bien d’autres sujets à préparer et je connais bien Lucien, il va être très concentré sur l’équipe. Il faut qu’on lui apporte des solutions.

Comment allez-vous reconstruire l’organigramme après le départ de Fournier?

Quand vous avez du mouvement, ça peut laisser un peu de flottement mais l’audit de Dave est fini, on sait ce qu’il faut améliorer. L’organigramme doit être rempli avec des cases, mais on ne fait pas les choses dans la précipitation, même si le mercato est une urgence.

Roy Hodgson (ancien sélectionneur anglais, 74ans, relégué cette saison avec Watford) était présent lundi au siège. A-t-il vocation à intervenir?

Rien à voir. C’est un ami de Dave qui lui a dit de venir voir l’entraînement. Pour le mercato, il y a Julien, Dave, moi, une cellule de recrutement… Dave va passer moins de temps que prévu sur le Tour car il s’occupe encore du club. Notre fonctionnement va être étoffé, ce sera plus collégial.

Cela veut dire que ça ne l’était pas avec Fournier?

Un peu moins. C’est un changement d’orientation.

Quand Favre dit qu’il vise le podium et même plus, ça ne vous met pas trop de pression?
 
Vous ne pouvez pas reprocher à l’entraîneur et aux joueurs d’avoir des ambitions, tout en étant lucides. Lucien a parlé d’objectifs au bout de deux ans. À partir de là, on doit viser les trois premières places. Si on veut grandir, il faut jouer la Coupe d’Europe tous les ans. On prend des risques quand on dit ça, mais on peut en prendre. À un moment, il faut savoir ce qu’on veut. On ne bâtit pas un projet pour être juste dans le premier tiers et je vais tenter des choses différentes. » 

(*) Ce fonds d’investissement possédera 13 % de la future filiale commerciale de la Ligue de football professionnel contre 1,5milliard d’euros.