Le directeur du football de Nice détaille les projets du club racheté par Ineos, ambitieux mais rigoureux.


Directeur général de l’OGC Nice depuis 2011, Julien Fournier en est parti avec le président Jean-Pierre Rivère en janvier dernier, ce qui n’a pas du tout plu à l’entraîneur Patrick Vieira, sous contrat jusqu’en 2021. Fâchés avec les actionnaires sino-américains, les deux hommes sont revenus avec Ineos, l’entreprise pétrochimique du milliardaire Jim Ratcliffe, qui a racheté le club pour 100 M€, le 26 août. Le Britannique leur fait totalement confiance, et Fournier (45 ans), désormais directeur du football, s’occupe aussi de Lausanne-Sport (D 2 suisse), également propriété d’Ineos. Il nous a reçus mercredi pour évoquer le nouveau Gym, neuvième de Ligue 1, qu’il entend faire grandir sans perdre la rigueur qui le caractérise. Mais il a quand même souri, parfois.

 

Que faites-vous de différent en tant que directeur du football ?

 

J’ai encore mon mandat de DG mais j’ai toujours été plus concentré sur les activités du foot, ce qui a été officialisé. Sur la fin, je faisais trop de choses, et c’est là qu’on fait des bêtises. L’idée est de donner une orientation au club pour continuer à grandir, avec les bonnes personnes aux bonnes places. En France, on aime confier tous les pouvoirs à un directeur sportif. Je suis contre ce genre de titre. À Nice, il y a une direction sportive, incarnée par l’entraîneur, moi, une cellule de recrutement, un directeur du centre de formation. Je ne vais pas scouter un joueur, je sais où s’arrêtent mes compétences.

 

Quelles sont vos priorités ?

 

Quand on a quitté le club, on a voulu voir où on n’avait pas été bons, pour améliorer le système. C’est l’obsession quotidienne. On a été très mauvais sur la formation. Comme beaucoup de clubs français, on a formé des joueurs, mais pas de très, très haut niveau. Quand on a de très bons éléments à la formation, ça oblige le recrutement à être meilleur, car on n’achète pas si on a quelqu’un d’aussi bon au poste.

 

Voulez-vous être le meilleur centre de formation français ?

 

On doit arriver à produire des joueurs qui jouent la Ligue des champions et sont en équipe de France, comme Lyon et le Paris-SG. On ne pourra pas être performants sur la durée si on n’est pas meilleurs dans la formation. On doit être aussi plus réactifs quand on identifie un joueur, et dans le recrutement en post-formation qui est stratégique. On va d’ailleurs prendre un scout spécialisé dans la post-formation.

 

Est-il plus difficile de faire des bonnes affaires avec l’étiquette Ineos ?

 

On ne se croit pas au marché aux puces en voulant absolument faire la bonne affaire. J’ai vu des changements de comportement dans le milieu, le regard des gens évolue car ils ont le sentiment que ce n’est plus le même Nice. Ils se trompent. Ils nous croient ou pas mais une fois qu’on entre en négociations, ils voient que c’est la réalité. On a laissé tomber des dossiers car c’était hors marché.

 

Vous n’allez pas acheter un joueur 40 millions ?

 

Ce n’est pas du tout d’actualité. Faire grandir le club prend trois, cinq ans. Si on commençait à acheter des joueurs 50 M €, ce serait un non-sens économique au vu de notre situation, et on se ferait rattraper par le fair-play financier. Il n’est pas question qu’on entre dans une stratégie de pari, où on investit 100 M€ la première année en priant pour être en Ligue des champions. Et si on n’y est pas… Des clubs ont choisi cette stratégie et on voit où ils en sont aujourd’hui.

 

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Vous êtes réputé dur. Avez-vous changé avec les moyens supplémentaires ?

 

J’ai horreur de gaspiller l’argent. On ne surpayera rien mais on ne va rien sous-payer. Notre difficulté était que nous avions des ambitions supérieures à nos moyens financiers. Vous êtes alors obligé d’être dur. Si un joueur veut 20 000 euros en plus et que je ne les ai pas, je vais dire non.

 

Vous les avez maintenant…

 

On peut avoir 20 000 euros, pas plus (sourire). Mais ce n’est pas parce qu’on a les moyens qu’on va dépenser. Être dur pour se vanter d’avoir gagné une négociation, je n’ai pas cet ego. Mais s’il faut être dur pour ne pas surpayer, ah oui on sera durs.

 

À l’intérieur du club, sentez-vous que les joueurs sont plus tentés par une augmentation ?

 

Oui. Mais j’ai toujours vécu avec ça. Certains ont essayé, ont été très bien augmentés et c’est logique. On voit dans la presse que Jim Ratcliffe est l’homme le plus riche du Royaume-Uni, et c’est une chance inouïe pour Nice et le foot français. Mais les joueurs lisent ça, et ceux qui ont 10 000 veulent 30 000…. Quand on estime que c’est normal, on le fait, sinon on ne le fait pas.

 

Le remodelage de l’organigramme a impliqué deux retours : ceux de Manuel Pires, directeur du centre de formation, et de Serge Recordier, le recruteur à l’origine des arrivées de Youcef Atal ou Ricardo Pereira…

 

C’était une erreur de se séparer de Manu (en 2014) mais il revient encore plus armé, et il est à la hauteur des exigences sur la formation, dans l’individualisation de la performance. Gagner une Gambardella (en 2012) est une aventure magnifique, mais la finalité de la formation est de produire des joueurs de haut niveau. Serge, c’était une erreur de sa part d’être parti là où il est allé (à Monaco la saison dernière). C’est toujours bien de rentrer à la maison. On a une totale confiance en eux.

 

Allez-vous recruter un directeur général ?

 

On peut chercher à l’extérieur ou en interne. On n’a pas été bons dans le développement commercial. Ça pouvait suffire au Nice d’avant mais si on veut nourrir des ambitions plus importantes, on doit être meilleurs car le fair-play financier nous y oblige.

 

Comment faire à Nice où le stade est loin d’être plein (*) ?

 

La billetterie n’est pas la principale ressource. Je souhaite un stade plein mais ce n’est pas ça qui va révolutionner l’économie du club. En termes de sponsoring, d’équipementier, de droits télé, on peut faire mieux. Même si ça choque certains, j’intègre aussi le trading de joueurs comme une recette commerciale.

 

L’idée est donc de viser une plus-value sur vos jeunes, au lieu de les garder plus longtemps ?

 

L’objectif est de garder ces joueurs. Mais avant, sauf Dalbert à l’Inter (vendu 29 M€ en 2017), on avait l’habitude de vendre à des clubs de moindre envergure. Si on forme mieux, qu’on est capables de garder des joueurs et de les développer, ils seront prêts pour les très grands clubs. Certains chez nous pourraient partir demain mais ils ont le potentiel pour partir après-demain, plus haut. On ne sera jamais un supermarché où on achète et on vend quinze joueurs par an, mais on continuera à vendre.

Vous voulez être le dernier palier avant le Real Madrid pour vendre plus cher ?

C’est ça, avec la possibilité d’être compétitif. Ineos n’est pas venu pour gagner de l’argent mais ils ne sont pas là pour en perdre. On adapte notre stratégie de développement aux contraintes du fair-play. Est-ce que dans trois ans, on aura les mêmes recettes commerciales que Paris, Lyon et Marseille ? Non. On doit donc les augmenter et le trading peut nous aider. On ne sera jamais le PSG, au bout de la chaîne. L’actionnaire fera un effort pour les garder, mais au-delà des aspects financiers, il est impossible de dire aux joueurs de ne pas aller au Real.

Ce travail sera fait sans Gilles Grimandi, qui était directeur technique jusqu’à lundi et proche de Vieira. Est-ce un facteur de tension ?

 

L’accord sur le départ de Gilles a été expliqué à Patrick, qui l’a compris. J’ai horreur des aspects claniques, les hommes de Vieira, les hommes de Fournier… On a tous une responsabilité, pas de pouvoir. Ceux qui ont des états d’âme, une rancœur, je leur ai dit de partir, qu’ils soient assimilés au clan Fournier ou Vieira. Il y a beaucoup de travail, je n’ai pas de temps à perdre.

 

Quelle relation entretenez-vous avec Vieira qui a très mal vécu votre départ en janvier ?

 

Il avait une lecture des événements, il est convaincu d’avoir raison. On a une lecture différente et on est convaincus d’avoir raison. Après, Patrick est remarquablement intelligent et fin, et on n’est pas non plus dénués d’intelligence. Patrick est très heureux d’être à Nice, complètement apaisé.

 

Il n’y a pas de malaise au quotidien ?

 

Absolument pas. Quand on sort de la période de trouble, il faut voir si les paroles s’accompagnent d’actes. Je pense qu’il est rassuré sur tout un tas de points.

 

Le consultez-vous pour réorganiser le Gym?

 

Patrick n’est pas consulté, il est associé. Claude (Puel, entraîneur de 2012 à 2016) a laissé une belle trace positive, Lucien (Favre, de 2016 à 2018) a laissé une trace, Patrick doit laisser une trace. On échange beaucoup sur le médical, la formation… Il valide tout. Le club va mettre beaucoup plus d’exigence autour des joueurs, avec des pôles d’excellence. Il n’est pas sûr qu’on joue la Ligue des champions car il y a les aléas sportifs, il n’y a que trois places. Mais on peut avoir le niveau C 1 pour le médical, la scolarité, la formation…

 

Le projet se développe sur trois à cinq ans. Voyez-vous Patrick Vieira sur le banc dans cette période ?

 

Bien sûr que je me projette avec Patrick. Mais à l’époque, je me projetais aussi avec Claude, alors que c’était autrement plus tendu qu’avec Patrick. Et on a arrêté. Il faut aussi que Patrick ait cette envie.

 

Pouvez-vous discuter dès maintenant d’une prolongation ?

 

Je ne communique jamais sur les aspects contractuels. Mais dans les discussions qu’on a tous les jours, on ne se demande pas comment on va finir la saison ensemble. On a rebâti un lien de confiance.

 

Lausanne-Sport appartient aussi à Ineos et le club suisse entre dans votre champ d’action. Comment allez-vous fonctionner ?

 

Je suis allé à Lausanne, et c’est pour moi un club à part entière, avec une identité. Ce ne sera jamais une filiale de Nice mais Lausanne peut aider Nice à atteindre ses objectifs, et inversement, comme notre académie au RC Abidjan (en Côte d’Ivoire). On a une cellule de recrutement qui peut leur servir mais Nice n’imposera jamais un joueur à Lausanne. Je pense plutôt à la relation entre le Red Bull Salzbourg et le RB Leipzig. Il y a des vases communicants intelligents et Salzbourg n’est pas dévalorisé par Leipzig.

 

Il y a eu des effets d’annonce à Bordeaux, le Champions Project à Marseille, et rien à Nice. Pourquoi ?

 

On est dans la continuité de ce qu’on a fait avant. C’est une étape supplémentaire, il n’y a pas de raison de dire : “Badaboum, dans trois ans, Paris, tenez-vous bien, on est derrière…”

 

Vous n’avez pas fixé d’objectif de place à Vieira ?

 

Quand on l’avait vu à New York (en mai 2018), on lui avait dit : “Tu verras, c’est facile d’entraîner Nice.” Le pauvre, ça n’a pas été toujours facile… Mais il est le seul patron du terrain, complètement libre. Je trouve contre-productif de mettre une pression du résultat à son entraîneur. Si on en arrive là, c’est qu’on s’est trompé. Après, on est revenus car le projet est beaucoup plus ambitieux, l’exigence va monter à tous les niveaux et on doit tous assumer. 

 

(*) Pour ses matches à domicile, Nice accueille 21 023 spectateurs. La capacité de son stade s’élève à 35 596 places.