Quand il comptait parmi les partenaires de l’OGCNice («le Gym»), Jean-Pierre Rivère refusait systématiquement d’apparaître sur les photos traditionnellement prises les soirs dematch; entre aversion profonde et souci de discrétion. Président du club azuréen depuis 2011, il demande à ses nouveaux joueurs une participationde 50 euros lors de leur arrivée au club: le prix de leur adhésion à l’Association des anciens aiglons, où ils pourront se retrouver dans un demi-siècle–s’ils sont encore de ce bas monde. Aux commandes du 4e club de Ligue 1 à l’issue de la saison dernière, Rivère (55 ans) est sur la bascule entre deux univers: le monde des affaires qu’il a quitté quand il a pris le Gym il y a deux ans et celui du foot; fantasia mondialisée où la visibilité économique n’est pas la caractéristique première et où un joueur qui n’est pas revalorisé poste la photo d’une pierre tombale sur les réseaux sociaux.

 

 

Surtout, le président du Gym est comme tout le monde dans le foot français moins le Paris-SG et Monaco: il compte, ce qui tient de la gageure dans un univers où le marché des transferts, principale source de financement avec les droits télés, est en chute libre sous l’effet de la crise économique. Condamné par les prud’hommes il y a quelques semaines à verser 680000 euros à un ancien entraîneur –le club a fait appel–, Rivère avait posément expliqué que cette histoire l’empêcherait de prendre un joueur : bienvenu dans le vrai monde, loin des centaines de millions dépensés pour des joueurs dont le statut vaut celui des stars hollywoodiennes.

 

Dans le football, c’est important, 680000 euros?

 

Mais enfin! La saison passée, on fait venir l’attaquant argentin Dario Cvitanich pour 400000 euros [un transfert qualifié de «coup du siècle» par un président de club, l’Argentin ayant mis 19 buts en Ligue 1, ndlr], les onze nouveaux joueurs –Cvitanich compris– nous avaient coûté 450000 euros… Tenez, j’entends: «La Ligue Europa ne rapporte rien.» Mais si l’OGC Nice sort des poules cet automne, c’est 2 ou 3 millions de gagné. Et c’est 10% du budget.

 

Un joueur de Ligue 1 peut-il entendre un discours alternatif à l'argent?

 

Certains peuvent être sensibilisés à un projet ou à leur importance dans le projet. Quand on est allé chercher Nampalys Mendy et Valentin Eysseric à Monaco, je crois qu’ils ont entendu le discours que nous leur avons tenu. Et qu’en plus, ils ont cru ce discours. Après, il est clair que c’est plus simple avec de l’argent. Quant aux joueurs, vous en trouverez de plus ou moins respectueux, de plus ou moins altruistes… Bon. Pour être footballeur de haut niveau, il faut du caractère. Donc un ego. Moi, je ressens plus ou moins d’affinités selon les cas. Mais ça n’est pas très important: ce qui compte, c’est la manière dont le joueur se situe par rapport au club qui l’emploie. Et par rapport à ses coéquipiers.

 

Que faites-vous dans le foot?

 

Quand j’ai revendu mon entreprise [I selection, une plateforme immobilière, ndlr], je me suis retrouvé à l’abri financièrement. Mais l’entreprenariat, le fait de bâtir quelque chose en équipe, m’a manqué. J’avais commencé avec une secrétaire, j’ai laissé une société de 200 employés, pérenne et rentable. Laisser mes collaborateurs de l’époque a été le plus dur. Je ne me voyais pas remonter une affaire avec comme seul objectif l’aspect financier. Je vivais à Nice, il y avait le foot… Franchement, deux choses m’ont freiné: la médiatisation et l’image du Gym, qui me heurtait un peu. Mais je voyais le potentiel. Et ce que j’ai investi dans le club n’est pas de nature à mettre en péril ma situation financière personnelle.

 

Mais alors…

 

(Il coupe) Lors de mon premier passage devant la DNCG, l’organisme de contrôle financier de la Ligue, je leur ai dit: «Je ne mettrai pas plus.» Ça a un peu choqué. Dans le foot, l’économie d’un club peut tenir à un joueur transféré quelques minutes avant la clôture du marché des transferts : vous vous rendez compte? On ne peut pas fonctionner comme ça. Déjà que les clubs composent avec l’aléa sportif…

 

Aujourd’hui, de nombreux clubs français (Toulouse, Lyon, Sochaux ou Saint-Etienne en Ligue 1,Nancy en Ligue 2) ont choisi de faire jouer la promotion interne pour pourvoir au poste d’entraîneur, nommant un coach qu’on aurait parfois du mal à imaginer dans un autre club. En allant chercher Claude Puel en 2012, vous avez eu la démarche inverse, nommant de surcroît un coach en procès avec son précédent club, Lyon, auquel il réclame près de 5 millions d’euros. Celan e vous a pas fait peur?

 

 

La première chose, c’est que je n’avais pas ce profil en interne. La saison suivant mon arrivée, j’ai dû intervenir régulièrement sur les aspects purement sportifs: depuis que Claude Puel est là, c’est terminé. L’écho médiatique disait ceci : Puel est un entraîneur défensif, peu communiquant… J’ai souhaité le rencontrer. Il m’a dit ce que je voulais entendre : du plaisir, un jeu ouvert qui s’appuie sur les jeunes et du respect. Avoir Puel à Nice compte tenu de son CV [plusieurs qualifications pour la Ligue des champions, dont il disputa une demi-finale lors de la saison 2009-2010, ndlr], ça n’est pas rien. Il avait des propositions plus intéressantes [financièrement] que la nôtre: ça, je l’ai vérifié. ogcnice.info

 

L’homme?

 

(Il pèse ses mots) Puel est un homme transparent, direct, honnête et respectueux. C’est rare dans le foot comme en dehors.

 

L’entraîneur?

 

Je dirais: très compétent, sachant tirer la quintessence de ses joueurs, des jeunes jusqu’aux cadres. Quant à son attitude et son discours, ce sont les mêmes dans les bonnes périodes ou les mauvaises.

 

Le milieu du foot a la réputation d’être un monde peu rationnel et peu clair. Comment se pilote-t-on quand on vient du monde de l’entreprise?

 

Je suis entré dans ce milieu en 2011 avec l’idée de m’abstraire de ce qui se dit ou s’écrit : je lis peu la presse sportive, je ne regarde pas souvent les émissions… Encore aujourd’hui, je passe le plus clair demon temps avec ma famille. Le foot n’est pas le secteur d’activité où il est le plus simple de garder la tête froide. Disons que si je finis idiot, j’espère que mes proches me le diront et que j’aurais quitté ce milieu à temps.

 

Mais gouvernance et prise de risque sont liées: le foot français vit encore sur un mythe; le transfert de Sonny Anderson à Lyon en 1999 pour 20 millions d’euros, somme record pour l’époque et coup de poker qui permit au président de l’OL Jean-Michel Aulas de dominer durablement la Ligue 1.

 

Déjà, je me dis que ce risque-là n’est pas dans mes moyens. Ensuite, la situation a changé: il y a deux monstres en Ligue 1, le Paris- SG et Monaco. Pour s’aligner, ce n’est pas un Sonny Anderson qu’il faudrait, mais cinq ou six. Comme Valenciennes, Lille ou Lyon, Nice s’est lancé dans la construction d’un nouveau stade, dont il disposera dans moins d’un mois: le fiasco de la MMArena du Mans (club en faillite, 7000 euros d’impôts par foyer fiscal pour rembourser l’installation) n’est-il pas dans un coin de votre esprit?

 

Dans les affaires, si vous faites tout correctement, ça fonctionne. Le foot est un monde à part, avec des règles qui lui appartiennent et un aléa sportif : vous pouvez limiter la possibilité d’échec, mais pas l’éliminer. Concernant l’Allianz Riviera, je raisonne autrement : Nice est la cinquième ville de France, elle dispose du deuxième plus grand aéroport de l’Hexagone, possède un public formidable… On ne pouvait pas ne pas avoir cet outil-là. C’est un outil difficile à utiliser: il faut mettre à niveau le marketing, l’accueil… Nous sommes allés à l’Allianz Arena de Munich pour voir l’aspect restauration. Nous avons beaucoup observé et appris, même si je sais parfaitement que Munich est au coeur d’un bassin industriel d’une tout autre ampleur. ogcnice.info

 

Les stades de la nouvelle génération sont conçus comme des déambulatoires. L’idée, c’est d’offrir des petites séquences déconnectées du match où les gens vivent une expérience commune à travers différents événements. Il faut créer des «moments». Et c’est justement là qu’on reparle du style de jeu. Nous voulons donner du plaisir au public, car le football est avant tout un spectacle. De même que nous accordons beaucoup d’importance à faire évoluer nos jeunes jusqu’à l’équipe première: en plus d’être important sur le plan économique, le joueur formé au club est une «fierté» pour le supporteur.

 

Quelle est votre position sur votre voisin monégasque, aux énormes moyens financiers, que la Ligue pro contraint à installer sonsiège social en France dès la saison 2014-2015 pour harmoniser la fiscalité de l’ASM avec celledes autres clubs de Ligue1?

 

Je suis solidaire de la décision de la Ligue. Si on dispute la même compétition, il faut les mêmes règles fiscales. Mais je vois aussi que la présence de Monaco en Ligue 1 est un vrai plus, qu’on le veuille ou pas. Le montant des droits télés à l’exportation est très bas. La présence de ce Monaco-là, avec ces joueurs-là [la star colombienne Radamel Falcao, l’international français EricAbidal, le milieu portugais Moutinho… ndlr], va inévitablement les tirer à la hausse. Avoir peur de la puissance financière de l’ASM est un contresens. Je suis convaincu que les acteurs concernés vont rapidement trouver une solution permettant au football d’en ressortir grandi.

 

Un président de club peut-il gagner de l’argent?

 

C’est très difficile aujourd’hui. Je ne suis pas venu faire une affaire financière. Mais ça ne veut pas non plus dire qu’elle n’y sera pas.